Une agricultrice de Bahir Dar, en Éthiopie, devant son entrepôt de céréales traditionnel, qui demande beaucoup de travail.
Photo: Daniel Valenghi/ SDC

Silo métallique – au-delà de la minimisation des pertes alimentaires – une expérience éthiopiennee

L’Éthiopie perd de 10 à 22 pour cent de céréales pendant leur stockage parce qu’une bonne partie des agriculteurs du pays continuent d’utiliser des structures traditionnelles. Une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, basée sur un projet mis en œuvre dans différentes régions d’Éthiopie, montre qu’il est nécessaire de faire d’importants efforts de sensibilisation et de prendre d’autres mesures, par exemple élaborer une politique, pour changer les choses. L’auteur résume les plus importants résultats de l’étude concernant l’impact de la gestion des pertes post-récolte sur les aspects sociaux, économiques et environnementaux, et fait des recommandations pour les temps à venir.

La production agricole de l’Éthiopie ne peut répondre à la totalité des besoins alimentaires du pays. Il y a à cela plusieurs raisons : pertes alimentaires, accès limité à des installations de stockage appropriées dont le nombre est, de toute façon, très insuffisant, et inefficacité des cadres institutionnels et juridiques. C’est pour cette raison que le projet de réduction des pertes alimentaires grâce à l’amélioration de la gestion post-récolte en Éthiopie (Reducing Food Losses through Improved Post Harvest Management in Ethiopia) a été mis en œuvre entre 2013 et 2023 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en collaboration avec la Direction suisse du développement et le gouvernement fédéral d’Éthiopie par l’intermédiaire du ministère de l’Agriculture.

Le projet a été mis en œuvre dans les cinq régions suivantes : Amhara, Oromia, Région des nations, nationalités et peuples du Sud (SNNPR), Sidama et Éthiopie centrale (selon la nouvelle réorganisation des États régionaux). Son objectif général était de contribuer à améliorer la sécurité alimentaire des petits exploitants agricoles éthiopiens en réduisant les pertes post-récolte (PPR).

Les résultats de l’étude montrent un changement d’attitude de la part du gouvernement et des décideurs politiques. Les efforts continus de sensibilisation aux questions des pertes post-récolte par la FAO et le ministère de l’Agriculture ont permis l’élaboration d’une stratégie de gestion post-récolte des céréales. Cette politique n’est pas encore totalement opérationnelle, mais c’est vraiment un pas dans la bonne direction.

Les agriculteurs ont également pris conscience des PPR et prennent des mesures pour les atténuer. Le passage de structures traditionnelles telles que les compartiments de stockage au-dessus du sol (Gotera), les compartiments de stockage enterrés et le stockage sous le toit ou au plafond, à des technologies de stockage hermétique tels que les sacs hermétiques et les silos métalliques, a été très lent, mais il est indéniable. Avant le projet de gestion des pertes post-récolte (GPPR), 4 pour cent des agriculteurs stockaient leurs produits dans des silos métalliques et 94 pour cent dans des structures traditionnelles. Après la mise en œuvre du projet, on estimait que les agriculteurs stockant leurs produits dans des silos métalliques représentaient 44 pour cent de la totalité des agriculteurs, que 34 pour cent stockaient dans des sacs hermétiques et 79 pour cent dans des structures traditionnelles. Comme les agriculteurs stockent leurs produits dans plusieurs types d’installations, la somme des pourcentages n’est pas 100.

Pourquoi de nombreux agriculteurs préfèrent-ils encore les structures traditionnelles de stockage ?

Malgré l’efficacité des solutions alternatives, la quantité de céréales stockées dans des structures traditionnelles reste élevée. Pourquoi autant d’agriculteurs continuent-ils à préférer ces structures ?  Comme le montre l’étude, il y a à cela plusieurs raisons. Par exemple, ils font valoir que la construction des structures traditionnelles ne coûte pas cher. Les silos métalliques, par exemple, sont plus coûteux et difficiles à transporter, notamment pour les agriculteurs vivant dans des zones rurales reculées ; cela peut freiner leur achat et leur utilisation. Et de leur point de vue, les structures traditionnelles préservent des valeurs culturelles tout en minimisant le vol et le mésusage des céréales stockées qu’on utilise dans les situations d’urgence.

Par exemple, les agriculteurs de la région SNNPR ont indiqué que les conflits sont parmi les facteurs qui les poussent à continuer d’utiliser les structures enterrées. Les ennemis qui, autrement, brûlent tous les produits alimentaires stockés ne localisent pas facilement ces puits. De plus, ces derniers ne permettent pas d’accéder facilement aux produits stockés car il est pénible de les en sortir, ce qui empêche de les vendre inutilement, contrairement à ce qui se passe avec les silos métalliques et les sacs hermétiques.  

Plusieurs facteurs poussent à adopter les pratiques GPPR. Le niveau de revenu et l’âge de l’agriculteur, par exemple. La participation à des formations, des démonstrations et des programmes d’échange a également une incidence positive sur l’adoption de nouvelles technologies. En outre, les ménages dirigés par un homme sont plus favorables à l’adoption des sacs hermétiques et des silos métalliques, peut-être grâce à un meilleur accès aux ressources et à la facilité de prise de décision. On a constaté que l’accès à des services auxiliaires, notamment aux services de vulgarisation, aux médias et au crédit, entraînait des changements de comportement. La durabilité de la GPPR dépendra de la formation suivie et du renforcement des capacités ayant eu lieu.  

L’évaluation a montré que les agriculteurs peuvent économiser jusqu’à 22 pour cent de céréales qui, sinon, auraient été perdues. Cela représente environ 0,28 tonne par agriculteur, soit 15 pour cent de la quantité de céréales stockées dans des installations traditionnelles (1,8 tonne). On a également constaté que le stockage de céréales permet de préserver la qualité et offre à l’agriculteur la possibilité de tirer parti de fluctuations temporaires des prix entre les périodes de récolte et de vente.

Même s’il peut y avoir des variations en fonction des produits récoltés et des installations de stockage, les agriculteurs tirent souvent un meilleur prix de leurs céréales lorsqu’ils les vendent après stockage plutôt qu’immédiatement après la récolte. Les céréales stockées dans des sacs hermétiques et des silos métalliques coûtent considérablement plus cher que celles qui sont stockées dans des structures traditionnelles.

Impact social et environnemental

Il existe un lien étroit entre les technologies GPPR et les questions de santé car la plupart des agriculteurs qui stockent leurs céréales dans des structures traditionnelles appliquent des produits chimiques de stockage pour réduire les pertes. Ainsi, 76 pour cent des agriculteurs d’Amhara et 25 pour cent de ceux d’Oromia et de la région SNNPR font état de problèmes de santé dus à l’utilisation de produits chimiques. Les problèmes les plus souvent déclarés sont des problèmes aux yeux, des éternuements, des toux et des problèmes d’estomac.

Par ailleurs, une fois appliqués, ces produits chimiques restent sur les produits stockés et en modifient le goût et l’odeur lorsqu’on les consomme. Malgré les maladies déclarées par les agriculteurs, ces derniers continuent d’utiliser les produits chimiques faute de pouvoir acheter des silos métalliques. Il est en outre facile de se procurer des pesticides tels que le Malathion dans les magasins locaux de distribution d’intrants agricoles, et ces produits reviennent moins cher que la réduction des pertes post-récolte.

Malgré la nature patriarchale de la société éthiopienne, les femmes et les hommes se partagent les rôles le long des chaînes de valeur de la production. Cependant, l’utilisation de technologies de gestion des pertes post-récolte a eu des effets notables sur les femmes, notamment en termes d’économie de main-d’œuvre réalisée par rapport à la construction de structures traditionnelles et de libération des femmes de la gestion quotidienne des céréales stockées dans ces structures.

L’étude montre que les femmes économisent près de 75 pour cent du temps et du travail qu’elles y auraient consacrés. Il est important de savoir que, selon l’étude, les conflits familiaux déclenchés par la détérioration des céréales avaient diminué, ce qui avait entraîné une réduction de la violence basée sur le genre. Le temps économisé par les femmes a été utilisé dans le cadre d’autres activités économiques, par exemple le renforcement des liens sociaux dans la communauté et la consécration de plus de temps à s’occuper des enfants.

Les pertes post-récolte ont une incidence sur l’environnement. La production agricole nécessite toujours l’utilisation de ressources naturelles. Conformément aux résultats de l’étude, pour chaque tonne de céréale sauvée par la gestion des pertes post-récolte, 0,81 tonne d’émissions de gaz à effet de serre aurait été libérée dans l’atmosphère. En termes de terres cultivées, pour chaque hectare utilisé pour produire des céréales, une moyenne de 0,22 hectare est utilisé pour produire des céréales gaspillées par les PPR. Et en termes d’empreinte hydrique, 1 tonne de produits alimentaires gaspillés équivaut à 192 mètres cubes d’eau. Par conséquent, une PPR de 0,288 tonne par agriculteur correspond à une perte en eau de 55 mètres cubes.

Recommandations

L’étude a démontré que la formation et le renforcement des capacités, notamment, ont une influence positive sur la probabilité d’adoption de nouvelles technologies et doivent par conséquent être poursuivies. Compte tenu du fait que 79 pour cent des produits récoltés sont stockés dans des structures traditionnelles, il faut poursuivre les efforts visant à mieux faire connaître et soutenir les technologies et pratiques de gestion des pertes post-récolte (GPPR). Il faut accroître la sensibilisation aux effets et conséquences néfastes des pesticides grâce à la formation. En outre, le partage d’expérience qui fait participer les agriculteurs à des sessions d’apprentissage pratique, notamment auprès d’agriculteurs modèles, doit être soutenu et facilité.

Les services de vulgarisation jouent un rôle important en démystifiant les aspects techniques des technologies et en encourageant les agriculteurs à leur faire confiance. Il faut intensifier les efforts de vulgarisation pour toucher un plus grand nombre de ménages agricoles. Ces efforts doivent être couplés à la communication d’un plus grand nombre d’informations via divers canaux – radio, télévision et réseaux sociaux, si possible.

Un autre moyen d’encourager les agriculteurs à adopter des structures de stockage améliorées consiste à mettre au point un mécanisme standard de classification et à élaborer un système d’augmentation du prix des céréales de qualité. Ce mécanisme peut être mis en œuvre sous forme de majoration des prix ou de certificats de qualité.

Il est également nécessaire de créer et personnaliser le marché du crédit pour faire face à la demande du secteur technologique de gestion des pertes post-récolte. La majorité des petits exploitants agricoles risque de ne pas avoir les moyens d’acheter le silo sans aide financière. Dans ce cas, pour stimuler la demande, il sera important de créer des liens commerciaux entre les artisans, les agriculteurs et les institutions financières dans les régions concernées. Les institutions de microfinance doivent créer des produits correspondant à la GPPR. Le coût du produit de crédit doit tenir compte de la fluctuation de la demande des technologies sur le marché, de la fluctuation des prix des produits alimentaires et des exigences en matière de garantie.

L’élaboration de politiques est satisfaisante à ce jour, et des stratégies sont préparées pour faire face aux PPR. Il faut cependant qu’elles soient opérationnelles jusqu’au niveau administratif le plus bas, avec les ressources humaines et l’assistance nécessaires. La stratégie de vulgarisation agricole doit intégrer la gestion des pertes post-récolte dans le système de vulgarisation nationale.

Le programme des technologies GPPR doit être renforcé le long des chaînes de valeur. Il y a des pertes au niveau du stockage après la récolte, mais des pertes plus importantes sont censées avoir lieu au moment de la récolte, les mauvaises techniques de récolte se traduisant par des pertes alimentaires. L’élargissement du programme GPPR à la récolte devrait permettre aux agriculteurs de réduire les pertes. De plus, il est nécessaire de tenir compte des technologies pré-récolte telles que celles qui concernent le séchage, le transport et le battage.

L’étude montre qu’une meilleure gestion post-récolte contribue grandement à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle et à augmenter les revenus des petits exploitants agricoles en Éthiopie. Toutefois, d’importants efforts sont encore nécessaires pour faire en sorte que les techniques entrent dans le cadre des pratiques quotidiennes des agriculteurs.


Aresawum Mengesha est économiste agricole. Il travaille pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en qualité de coordonnateur du projet « Reducing Food Loss through Improved Post Harvest Management » (améliorer la gestion post-récolte pour réduire les pertes alimentaires). Aresawum est basé à Addis-Abeba, Éthiopie.

Contact:  aresawum.mengesha@gmail.com

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  • user
    Gezai June 24, 2024 A 12:09 pm
    Hello dears,
    I am Gezai Abera (assistant Professor) graduate of Postharvest management and working as academic staff in Raya University, Ethiopia which is Located in Tigray regional state.
    I am happy to see projects and even some attentions by some Governments being given to the postharvest loss/waste reduction. And I thank you as one of these role players. I believe and it's my strong stand that, with the ever increasing population in the limited resource together with the climate change (not to mention man made disaster-war), we need to work on keeping the resource safe and making sure the already produced one reaches the final consumer with minimum loss and with its original quality.
    Projects, just like yours, are very important influential to bring an awareness creation and bring a huge change to bring the agenda of postharvest loss to the table and making it our daily issue to work on.
    Finally, I would like to suggest your 'Reducing Food Losses through Improved Post Harvest Management in Ethiopia' project to extend its warm hand and get in contact with institutions and professionals (like what this paper's author did) to work in Tigray as well.
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